19.6.2004
Monsieur le Ministre,
Je suis Jean Bernabé, professeur des Universités, spécialiste de créole, fondateur et responsable du GEREC-F (Groupe d'Etudes et de
Recherches en Espace Creolophone et Francophone), chargé, en 2001, par le
ministère (aux destinées duquel vous présidez aujourd'hui) de la
coordination des programmes de langues et cultures régionales au Collège et
au Lycée. C'est au motif de ces fonctions et qualités que je m'autorise à
vous faire part de la stupéfaction qui m'a saisi à l'annonce, encore
officieuse, relative à une éventuelle périodicité du CAPES de créole non
annuelle et soumise à des contingences par définition non programmables.
Je sais que divers concours font déjà l'objet de telles mesures, dites d'ajustement à la demande, une demande fluctuante parce que n'ayant
pas fait l'objet de prévisions adéquates. J'admets volontiers que les
données démographiques, notamment en contexte de stagnation économique, ne
peuvent pas être ignorées par les gouvernants, lesquels ne sont pas des
thaumaturges.
Ce qui, en revanche, me semble incompréhensible, voire
inadmissible, c'est que votre ministère, auquel la morale républicaine fait
obligation, indépendamment des options partisanes, de protéger, voire de
promouvoir le patrimoine moral et spirituel accumulé par les gouvernants
précédents, n'ait pas pris la véritable mesure de ce que représente pour nos
pays créoles, parties prenantes, que je sache, de la République Française,
un concours comme le CAPES de Créole. Ce concours, obtenu de haute lutte, a
pour vocation d'être non seulement le vecteur d'un meilleur développement
linguistique et culturel mais encore source d'une plus grande harmonie et
d'une efficacité scolaire accrue. Qui plus est, il revêt une valeur
emblématique de réparation des sévices et humiliations causées par
l'entreprise criminelle qui non seulement a perpétré l'esclavage mais encore
l'a spécialisé dans la traite négrière. Aucun descendant d'esclaves n'a obtenu de réparations matérielles des dommages subis, sauf à assigner cette fonction aux transferts financiers
issus de la Métropole, organisant depuis trop longtemps une mentalité d'assistés et qui, pour d'évidentes raisons éthiques, ne peuvent ni ne
doivent, quels qu'en soit le montant, constituer un argument de réparation.
Contrairement au CAPES dont l'exiguïté du coût financier est sans commune
mesure avec la capacité symbolique qui s'en trouve développée.
La remise en cause du CAPES de créole, fût-ce dans sa périodicité,
ne peut être vécue que comme une manifestation rampante de négationnisme et
l'expression d'un mépris dont la République ne peut se prévaloir à l'endroit
de citoyens à part entière dont une vision réconciliatrice conforte la
pertinence d'un tel CAPES dans sa tenue annuelle. Je me permets de vous
informer que la demande aux les Antilles et en Guyane est importante et que
pour la seule académie de la Guadeloupe, il y a eu, cette année, 132
candidats au baccalauréat ayant choisi l'épreuve de créole à l'oral.
"Réconciliatrice", ai-je dit et non point "conciliatrice". Car pour
toutes les femmes et les hommes responsables de nos pays, le maintien du
CAPES de créole dans sa régularité ne saurait être de l'ordre du négociable.
Aussi, sachant que le texte définitif n'est pas encore paru, ose-je espérer
que, mieux informé des enjeux d'une telle décision, vous aurez à coeur de
revoir votre position.
Dans cette attente, je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre l'expression de mon respect républicain.
Jean Bernabé
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