Pétition
CAPES de créole 2005 ?
 

Monsieur le Ministre,

En ma qualité de sociologue martiniquais ayant particulièrement travaillé avec les populations des quartiers situés en périphérie des zones urbaines des Antilles et de la Guyane françaises, je m'autorise à réagir à la menace de suspension du Capes créole, pour vous signifier «l'effondrement symbolique » que pourrait provoquer une telle décision.

Conviction dont je me permets d'étayer le bien fondé.

Il y a d'abord le fait qu'au sein de nos régions, perdure une objective situation de marginalisation économique puisque plus de 30% de la population active potentielle est au chômage. Le pourcentage de nos Rmistes, 11 fois supérieur à celui de la moyenne nationale, atteste bien de cette situation.

Il y a également cette brutale accélération des 50 dernières années, se caractérisant par des mutations en cascades souvent non coordonnées, qui bouleversèrent tous les secteurs du vécu social et tous les aspects de la vie quotidienne, provoquant l'implosion des repères, des rythmes, des rituels, des représentations, autour desquels s'était structuré tant bien que mal l'ancienne société dite traditionnelle. Exode rural brutal et massif - Urbanisation informelle et massive - Emigration massive vers la France continentale - Effondrement du secteur primaire - Explosion du tertiaire - «Véhiculisation» massive du territoire - «Banalisation» de notre univers végétal - Prégnance de plus en plus grande de la précarité, de la marginalité et de la toxicomanie dans le tissu social: tels sont les méfaits d'une mutation accélérée et incontrôlée qui par ailleurs a vu sensiblement s'accroître le niveau de vie des populations et la qualité de l'infrastructure sanitaire et sociale de nos régions.

Il y a enfin cette forte prégnance des «ailleurs» sur la vie quotidienne faisant de nos populations, particulièrement de nos jeunes, des consommateurs naïfs, sensibles et soumis à toutes les vagues, toutes les modes, toutes les déferlantes de la société de consommation et de son star système.

Bien des régions du monde sont concernées par ce charivari sociétal parce que soumises à ces déferlantes de la société de consommation mondialisée et uniformisée.

Dans ce contexte si fortement chahuté existe aussi au sein de nos sociétés des pôles de recentrage, des dynamiques de re-fondation qui vaille que vaille évitent l'aggravation et élaborent des poches de ré-oxygénation. La famille antillo-guyanaise (famille étendue et élargie) et la création culturelle constituent dans nos sociétés ces pôles ou dynamiques majeurs de recentrage et de refondation.

S'agissant de cette création culturelle, on assiste depuis ces vingt dernières années à un renouveau. La nouvelle relation à la langue créole parce qu'empreinte de positivité a largement contribué à cet essort: parce qu'elle a décomplexé, parce qu'elle a comme levé une chape de plomb sur le socle de la création et de l'expression. La littérature, la musique, le sport, la peinture, l'élargissement de notre élite, attestent bien de ce phénomène en ouvre depuis deux décennies. La création du CAPES créole pouvant être interprété comme un aboutissement de cette relation positive à la langue créole que l'on a vu naître et croître et qui accompagne cette expression culturelle en renouveau.

Il n'a que trois ans d'existence ce CAPES et nos populations sont déjà largement au courant de cette officialisation diplômante de la langue, comme si depuis longtemps, elle était espérée.

Voici Monsieur le Ministre, brièvement exposées, les raisons qui m'amènent à parler «d'effondrement symbolique» s'agissant des conséquences que pourrait provoquer la suspension du CAPES créole. D'un point de vue sociologique, je crains en effet que cette décision soit comparable à une brutale rupture de la branche sur laquelle est posé l'oiseau qui s'apprêtait à prendre son envol

Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, mes respectueuses salutations.

Serge Domi

 


 
Pétition contre la supression du CAPES de créole.
 
 
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