Kapes Kréyol

Site d'information du CAPES de créole (Sous-domaine du site Potomitan)
(Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré)

Concours externe de recrutement de professeurs certifiés
et concours d'accès à des listes d'aptitude (CAFEP)
SECTION : Créole

Sujets des épreuves d’admissibilité 2008

Dissertation en créole 

Mars 2008

L’usage de tout ouvrage de référence, de tout dictionnaire et de tout matériel électronique est rigoureusement interdit.

Durée: 4 heures

Vous analyserez sous forme de dissertation les propos suivants d’un critique relatifs au conte créole:

« Par-delà la fonction de divertissement, la révolte représente la fonction primordiale du conte. Or, comment passer ces messages de résistance et de critique sociale dans ce monde où l’expression n’est pas libre? D’abord, par la symbolique des personnages, notamment les personnages animaux ; ensuite, par l’utilisation de l’ellipse.»

Épreuve de traduction

Mars 2008

L'usage de tout ouvrage de référence, de tout dictionnaire et de tout matériel électronique est rigoureusement interdit.

Durée: 4 heures

FERMETURE DE RYTHMES

A un âge inavouable, je reviens d’un voyage bref aux lieux où je suis né, deux ans après la mort de mon frère. Nulle âme qui vive portant notre nom n’habite l’espace où des champs et des routes ont pris la place de chantiers que traversaient, jadis et naguère, bateaux vers la rive et camion vers la ville, dont le bruit d’enfer faisait connaître à tous l’entreprise de famille. Pouvait-on y habiter ou prendre la route sans nous? A trente kilomètres à la ronde, les murailles s’élevaient de l’orgueil de notre sable et les chemins y conduisaient sur la vigueur de nos cailloux cassés. Silence désormais pour l’appellation, maison vide, outils dissous dans la terre et l’herbe folle, avons-nous même vécu ici? Né à la fin du siècle dernier, mon père a risqué sa vie et compromis sa santé dans une guerre atroce dont nous ne comprenons plus les enjeux et fondé une entreprise qui a disparu sans laisser aucune trace sur les bords de la Garonne; il repose sous la terre qu’il aima en compagnie d’une femme dont nul ne se souvient plus. Cependant, rien n’a bougé, ni les lignes de l’horizon doux, ni le cours paradoxal de la rivière, ni la couleur sombre des alluvions, ni le rose des pêchers à la pointe du printemps, ni le type gascon aux traits fraternels : malgré une longue absence, je me reconnais plus que jamais issu d’ici. Dans cette constance stable, une période s’achève qui ne dura pas.

J’ai connu, enfant, une agriculture, une religiosité, une langue, mortes toutes trois et, plus tard, une marine, une culture, des façons de se conduire, toutes trois défuntes. En somme, le XXe siècle meurtrier s’écoula en un clin d’œil. Des fermes à toits ça et là effondrés, quelques églises fermées, des phrases devenues incompréhensibles, une famille dissoute, voilà ce que le retour au pays montre à la mélancolie ; mais, ailleurs, les cimetières de bateaux rouillés, les langues grecques et latines aussi perdues que l’occitan, des coutumes devenues absurdes, il faut avoir vécu la fin de certains rythmes pour estimer à presque rien l’intervalle qu’ils scandent. Si j’ajoute à ma vie brève celle de mon père, l’unité du siècle dura peu.

Michel Serres, L’Incandescent, 2003, éd. Le Pommier.

Viré monté