|
|
Préparation
à distance
|
|
CORRECTION
DES VERSIONS
|
|
par Raphaël CONFIANT
|
|
Dans le cadre de la "Formation à distance au CAPES
de créole" organisée par le GEREC-F, formation
entièrement gratuite, précisons-le, une soixantaine
d'étudiants s'est livrée au difficile exercice de
la version. Il est à noter que ces exercices ne leur ont
pas été imposés puisqu'il leur a été
fourni une liste d'ouvrages au sein desquels ils avaient à
choisir eux-mêmes deux pages en vue de les traduire en français.
Comme il fallait s'y attendre aucun étudiant a choisi le
même passage.
A l'instar des corrections des dissertations, nous ne proposerons
pas de "Corrigé" dans un premier temps mais simplement
des remarques précises sur les principales erreurs commises
dans les différents devoirs, ceci dans le but de faire
comprendre à l'étudiant que toute traduction est
perfectible et qu'il n'existe pas UNE traduction, ni LA BONNE
traduction.
Les devoirs présentés ici sont dotés d'un
numéro qui fera référence toujours au même
étudiant tout au long des 5 mois que durera cette formation
à distance.
|
|
ETUDIANT N° 1 (Matinik)
Texte choisi: "Kod Yanm" de Raphaël
Confiant, pp.
NOTE: 04/20
Bondié té di Adliz pa té kay
gadé timanmay-la ki té nan bouden'y lan. An jou bomaten,
i lévé, épi an lanvi pwan'y ay wè Man
Tidiàn asou marché Lazil la. Lanné té
fè lanné, tan kité tan men Adliz pa té
ka bliyé ki sé gran-madanm tala ki, primié
kou i té débatjé Fodfwans, té lonjé
an ti pal ba'y. Epi sé té an monyen pou i té
trapé nov lakanpay-la tou. Kifè sa té ka rivé'y,
pi souvan ki rarman, ay fè dé mo kozé épi
machann lédjim-lan, pres nan finisman sé laprémidi-a
kivédi avan Man Tidiàn té pwan bonm-lan viré
monté bò kay-li.
Wè i wè Adliz jou-tala, i rété i di'y
:
"Ha, mafi ! Kouté makoumè'w, wi, asiré
ou kay akouché okoumansman laplenn lin!"
"Ki sa? Ou ka bétizé, man ka espéré.
Man pòkò menm grenyen rad ti neg-la ba'y, non"
"Sa ki di'w sé ké an ti neg ? Lanmanniè
bouden'w prenti a, asavwè es sé pa an ti fi ou ké
fè. Gadé, ou ké wè
" machann-lan
viré pwan, ka ri anbafey.
"Mwen menm! Man pa bizwen pies ti kabann sèpan lakay
mwen "Adliz fè" Epi redté lavi-a nou ka
mennen an, an ti fi pé ké sa défann kò'y.
Pa di mwen sé an ti fi, lamè!"
Epi, ansanm i di sa, i santi tet-li ka tounen, tjè'y ka konm
pataté. I apiyé anlè mayé-bra Man Tidiàn,
gwo laswè ka benyen fidji'y.Lamenm machann-lan fè'y
asiz anlè an ti ban épi i koumansé vanté
fidji'y épi bakwa'y, ka mandé :
"Adliz, sa ou ni, chè ? Sa ka fè'w mal?"
" Toudisman ki pwan'y" an lot machann vansé i di,
ka suiyé fwon-tet jenn fanm-lan épi matjoukann-li.
"Rété la épi'y. Man kay fè débriya
genyen an fiol létè adan an fanmasi
"Man
Tidiàn fè.
Tan pou an poul té chié, tout machann ek pratik marché
Lazil la té ka viwonnen Adliz, chak moun ka pwopozé
rimed-li. An nonm rété i di :
"Menyen tjè'y pou wè es i ka bat. "
"Ou two kouyon!" machann-lan ki té ka sipòté
kò Adliz la rélé "Ga venn kou'y manniè
i ka gouyé, ou kwè tjè ti manzel-la rété.
Tjip!"
"Hé, palé bien ba mwen fanm-lan ! Man pa kanmarad-ou,
man pa lévé adan menm kay épi'w, man pa fè
lakominion-mwen épi'w alò mété mwen
atè, souplé!"
Machann-la ladjé Adliz ba an lot, i doubout, i fouté
boug-la an kalot wap ! Boug-la trilbiché, i ladjé
an chasé lédjim-soup épi zépina i té
ni épi i jagonnen :
"Ebé ! Ebé ! Sa ka rivé mwen an, Bondié?
"
"Sé sa menm ka rivé'w la!" Machann-lan viré
pwan, ka trapé koutla'y "Ba fanm lè isiya s'ou
pa lé man koupé grenn-ou ba'w!"
Moun té atè. Yo té ka yen ki rélé.
"I salé! I salé!" oben "Pwan'y la!
", tout moun-an za bliyé Adliz ki érisi ripwan
lespri'y li yonn. I apiyé anlè an tré, i chaché
doubout, ka gadé toupatou kon sa ki tonbé dekdek ek
i rété, i mandé:
"O Man Tidiàn?"
"Mi mwen ! Mi mwen, chè ! Ba mwen mété
tak létè anlè kan-tet ou, mafi. Sa ké
fè'w dibien. Eben, ou pé di ou fè mwen pè
! Ou pa lé ay wè doktè?"
"An-an !
man ké ribien adan an moman
ay oti
Féfé ba mwen, a sé zè isi, i ni an mes
ka fè an kozé épi an kwafè ki pli wo
a, ou sav, Edva ki non'y
"
Pou tout bon, Féfé vini épi panama'y anlè
tet-li ek jilé alpaga blan'y. Fidji'y té matjé
anmegdé ek i pa pwan wotè pies machann ki té
la, i anni di Adliz atann i kay chaché an loto kous. An vié
"Cadillac" ladjè 14 batjé yo ek lè
chofè-a mandé yo koté yo ka alé, Féfé
réponn Mòn Pijwen, i senntré kò'y anlè
siej-li épi i anmwennzi balan loto-a.
"Mòn Pijwen tou pré bò isiya" i rété
i ladjé an manniè entjet.
"Ou pa-a wè ti manzel-la malad!" Féfé
réponn, égri.
"Man pa ka rantré Mòn Pijwen
man kay ladjé
zot owa légliz Senn-Térez la" chofè-a
viré pwan.
"Man sav ! Moun Mòn Pijwen sé bousoulavi! Man
sav ! Enben, mi lahan'w, misié-mwen, pis ou pè man
pa péyé'w. Ou gadé fidji-mwen kon sa yé
a?"
Chofè-a trapé biyé-a Féfé té
ka lonjé ba'y la, i fouré'y nan poch chimiz-li fiap
épi i pa di ayen ankò, i bay douvan.
|
|
TRADUCTION
Le Bondieu avait décidé qu'Adelise
ne garderait pas l'enfant qu'elle portait. Elle se leva un matin
avec l'envie de rendre visite à Man Tidiane, vendeuse au
marché de l'Asile. Les années s'étaient succédées,
l'eau avait coulé sous les ponts et Adelise n'avait pas oublié
qu'à son arrivée à Fort-de-France, seule cette
dame âgée lui avait tendu la main. Aussi, elle s'y
rendait fréquemment, pratiquement en fin d'après-midi,
pour faire quelques brins de causette avec la marchande de légumes
avant que celle-ci ne reprit le fourgon qui la ramenait chez elle.
Elle avait à peine vu Adelise ce jour-là qu'elle lui
dit:
"Eh bien ma fille! Je suis sûre que tu vas accoucher
au début de la pleine lune, paroles de commère!"
"Qu'est-ce que tu dis là? J'espère que tu plaisantes.
Je n'ai même pas encore acheté la layette du petit,
non".
"Qui te dit que ce sera un garçon? Ton ventre est si
pointu que je me demande si tu ne vas pas accoucher d'une petite
fille. Attends, tu verras
" reprit la marchande en riant
sournoisement.
"Moi, je ne veux pas de cette race chez moi", fit Adelise
"une fille ne pourra pas faire face à la vie aussi dure
que nous menons. Ne me dis surtout pas que ce sera une fille, la
mère!"
Au moment où elle dit cela, elle se sentit prise de vertige,
son cur s'accélérait. Elle s'appuya contre la
pile de bois amarrée de Man Tidiane, son visage perlé
de sueur. La marchande la fit aussitôt asseoir sur un petit
banc et se mit à l'éventer avec son chapeau en bakoua
en lui demandant :
"Adelise, qu'as-tu? De quoi souffres-tu?"
"Elle a eu un malaise" avança une autre marchande
en s'approchant pour éponger le front de la jeune femme avec
con carré de madras .
"Reste là avec elle. Je vais rapidement à la
pharmacie acheter un flacon d'éther
" dit Man Tidiane.
En un clin d'il, toutes les marchandes et quasiment tout le
marché de l'Asile entouraient Adelise, chacun proposant son
propre remède. Un homme avança:
"Touchez-lui le cur pour voir s'il bat".
"Tu es trop couillon!" lui jeta la marchande en train
de soutenir Adelise "Regarde comment battent les veines de
son cou, alors tu crois que son cur s'est arrêté
de battre. N'importe quoi!"
"Hé, parle-moi sur un autre ton! Nous ne sommes pas
des amis et nous n'avons pas grandi ensemble, ni fait notre communion
ensemble que je sache, alors fiche-moi la paix, merci!"
La marchande laissa Adelise aux mains d'une autre, se leva, et gifla
l'homme. Celui-ci trébucha, lâchant un sac contenant
un paquet de légumes à soupe et des épinards
et il marmonna :
"Eh bien! Eh bien ! Qu'est-ce qui m'arrive, Bondieu?"
"c'est bien ce qui t'arrive!" reprit la marchande en attrapant
son coutelas "Laisse tranquille les femmes ici si tu ne veux
pas te faire castrer!"
Les gens se tordaient de rire. Ils n'arrêtaient pas de hurler
"bien fait pour lui! Bien fait pour lui" ou encore, "attrapez-le
", tous avaient oublié Adelise qui elle, avait réussi
à retrouver ses esprits sans aucune aide. Elle prit appui
contre un plateau de marchandises, tenta de se mettre debout, regardant
partout comme quelqu'un qui avait perdu connaissance et elle demanda:
"Où est passée Man Tidiane?"
"Me voilà, me voilà, ma chère! Laisse-moi
te mettre un peu d'éther sur les tempes, ma fille. Ca te
fera du bien. Eh bien! Tu peux dire que tu m'as fait une sacré
peur. Tu ne veux pas aller chez le médecin?"
"Non, non! J'irai mieux dans un moment
Va me chercher
Féfé, à cette heure-ci, il est là à
causer avec un coiffeur un peu plus haut, tu vois, il s'appelle
Edvard
"
En effet, Féfé vint portant son chapeau panama et
un gilet en alpaga blanc. On pouvait lire sur son visage que cela
le dérangeait. Il ne prêta aucune attention aux marchandes
qui étaient là, et demanda simplement à Adelise
de patienter, qu'il partait chercher un taxi de place. Ils s'embarquèrent
dans une vieille "Cadillac" datant de la première
guerre mondiale de 1914, et lorsque le chauffeur les interrogea
sur leur destination, Féfé répondit Morne Pichevin
en s'enfonçant dans le siège de manière à
subir le démarrage de la voiture.
"Le Morne Pichevin est tout près d'ici", lâcha
le chauffeur d'une voix inquiète.
"Tu n'as pas vu que la jeune femme est malade!" répondit
Féfé avec hargne.
"Je ne rentre pas à Morne Pichevin
Je vais vous
déposer près de l'église de Sainte-Thérèse
" reprit le chauffeur.
"Je sais! Les gens de Morne Pichevin sont des voleurs! Je sais!
Eh bien! Voilà ton argent puisque tu as peur que je ne te
paie pas. Tu m'as bien regardé?"
|
|
REMARQUES GENERALES
Cette traduction est intéressante dans la
mesure où le niveau de français qu'elle met en uvre
est relativement bon. Malheureusement, elle comporte de trop nombreuses
erreurs sur divers plans:
- au plan lexical: "bonm" traduit par "fourgon",
"makoumè" par "commère" etc
- au plan grammatical: erreurs de temps, notamment l'utilisation
du plus-que-parfait (" Elle avait à peine vu
")
et de l'imparfait ("Son cur s'accélérait")
en lieu et place du passé simple.
- au plan stylistique: non inversion du sujet du verbe dans une
phrase commençant pas "Aussi"; calque du possessif
créole dans.
|
|
REMARQUES PARTICULIERES
- en français standard, on écrit le "Bon Dieu"
et non le "Bondieu".
- au lieu de "vendeuse au Marché de l'Asile",
il est préférable de mettre "une vendeuse du
Marché de l'Asile".
- au lieu de "seule cette dame âgée lui avait
tendu la main", on préférera "cette dame
âgée fut la seule personne à lui avoir tendu
la main".
- en français standard, "Aussi" en début
de phrase exige l'inversion du sujet. Au lieu donc de "Aussi,
elle s'y rendait fréquemment
", il convient d'écrire
"Aussi s'y rendait-elle fréquemment
".
- au lieu de "quelques brins de causette": "un
brin de causette".
- le terme "bonm" désigne en créole martiniquais
ancien l'"autobus" et non pas le "fourgon"
lequel est lié à la police ou aux pompes funèbres.
- mauvais choix temporel dans "Elle avait à peine
vu Adelise ce jour-là qu'elle lui dit
". Ici,
ce n'est pas le plus-que-parfait qui convient mais le passé
simple, accompagné d'une inversion du sujet : "A peine
vit-elle Adelise ce jour-là qu'elle lui dit".
- grossière erreur sur le sens de "makoumè
". Ici, il ne signifie pas "commère" mais
"bonne amie, camarade". Au lieu donc de "paroles
de commère!", il convient de traduire "c'est
une bonne amie qui te parle!". Ajoutons qu'à côté
des sens de "commère" et de "bonne amie",
le terme "makoumè" possède un troisième
sens beaucoup plus fréquemment utilisé que les deux
autres à savoir "homosexuel masculin".
- "anbafey" est très mal traduit par "sournoisement
" dans la proposition "reprit la marchande en riant
sournoisement" car ce mot possède une connotation
de malveillance qui n'existe pas dans le texte. Au contraire,
le rire de la marchande est un signe de tendre complicité
et doit être rendu par "sous cape".
- la proposition "Mwen menm!" peut être traduite
par "Très peu pour moi!" et non simplement par
"Moi".
- l'expression idiomatique "kabann sèpan" n'est
absolument pas traduite. Littéralement, cela donne "lit
de serpents" qu'il convient plutôt de rendre par "nid
de serpents". En la traduisant par "cette race",
l'étudiant a perdu la connotation de perversion liée,
ici, à l'image biblique du serpent qui convainc Eve de
manger la pomme au paradis.
- au lieu de "Au moment où elle dit cela
",
préférer "Au moment où elle prononça
ces mots
" qui est plus littéraire (le texte
à traduire est tout de même extrait d'un roman).
- erreur sur le sens du terme "pataté" qui ne
signifie pas du tout "accélérer" mais
"avoir des ratées".
- grossière erreur sur le sens de "mayé-bra
" qui ne signifie pas "pile de bois amarrée"
mais
"coude". Littéralement, "mayé-bra
" est "ce qui marie les deux parties du bras, ce qui
les lie". Il fallait donc traduire : "Elle s'appuya
sur le coude de madame Tidiane".
- en français standard, il vaut mieux écrire "le
visage perlé de sueur" que "son visage perlé
de sueur".
- erreur sur le mot "vansé" dans la proposition
"an lot machann vansé i d": il faut traduire
"fit/dit une autre marchande en s'avançant" et
non "avança une autre marchande", le sens de
ce verbe en français, dans cette position précise,
n'impliquant justement aucun mouvement du corps.
|
|