Préparation à distance

 

Dissertation créole 3

Questions de l'oral.
  1éme Partie
 

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par Raphaël CONFIANT
 
 
 
 

Sommaire

EXISTE-T-IL DES CLASSES SYNTAXIQUES EN CREOLE ?

QU’EST-CE QUE L’AMENAGEMENT LINGUISTIQUE ?

QU’EST-CE QUE L’INSECURITE LINGUISTIQUE ?

PERIODISATION DE LA LITTERATURE CREOLE

«ATIPA» D’ALFRED PAREPOU EST-IL UN ROMAN ?

QU’APPELLE-T-ON LES VERBES SERIELS ?

FAUT-IL PARLER « DU » CREOLE OU « DES » CREOLES ?

POURQUOI NAPOLEON FIT-IL REDIGER DES PROCLAMATIONS EN CREOLE ?

DE QUAND DATE LE THEATRE EN CREOLE DANS LES PETITES-ANTILLES ?

EXISTE-T-IL UNE FORME PASSIVE EN CREOLE ?

QU’APPELLE-T-ON UNE « CHANSON DE COCOTTES » ?

QU’APPELLE-T-ON LA « DEVIANCE MAXIMALE » ?

QUELLE EST L’ORIGINE DU MOT « BEKE » ?

COMMENT WLADIMIR PROPP ANALYSE-T-IL LES CONTES ?

QU’EST-CE QUE L’ACADEMIE CREOLE ANTILLAISE ?

QUE SAVEZ-VOUS DE L’HISTOIRE DE LA GRAPHIE DU CREOLE ?

QUELLES SONT LES CAUSES DE L’EFFONDREMENT DU SYSTEME DE L’HABITATION A PARTIR DU MILIEU DU 20è SIECLE ?

QU’EST-CE QUE LA DIGLOSSIE ?

 
 
 

FICHES CAPES DE CREOLE (Linguistique)

EXISTE-T-IL DES CLASSES SYNTAXIQUES EN CREOLE ?

Les monèmes des langues romanes, et donc du français, se distribuent selon des classes syntaxiques bien distinctes:

  • classe des nominaux : maison, voiture etc…
  • classe des verbaux : chanter, partir etc…
  • classe des adjectifs : beau, méchant etc…
  • classe des adverbes : fortement, lentement etc…

(Note: il faut noter que certains procédés morphologiques permettent à des éléments d’une classe d’accéder à une fonction que cette classe n’admet pas: c’est le cas de la copule (= être) qui permet à des non-verbes (adjectifs, nominaux etc.) de jouer un rôle de prédicat. Ex. Il est beau.)

Lorsque l’on considère les langues créoles, on constate que la détermination des classes syntaxiques est une tâche très difficile et que la morphologie est loin de jouer le rôle d’aiguilleur syntaxique qu’elle a en français. Ainsi, la frontière entre la classe des verbaux et celle des nominaux est-elle très fragile comme dans l’exemple suivant:

I chanté an bel chanté yè oswè.
Lè ou ka bo mwen, ba mwen an bel bo.

(Note: dans ces exemples, le même monème peut jouer à la fois un rôle prédicatif et un rôle nominal).

Comme l’est celle entre les nominaux et les adjectivaux comme dans les exemples:

An vlé achté on bef.
Fout boug-lasa bef !

Il est difficile également de tracer une frontière nette entre les monèmes adjectivaux et les monèmes adverbiaux comme dans:

Bwa-a ou koupé la sek.
Loto-a pwan tounan-la sek.

L’absence de protectionnisme aux frontières des classes syntaxiques rend inutile la nécessité d’un passeport d’une classe à l’autre. Ce qui n’est pas le cas en français dans lequel lorsqu’un nominal ou un adjectival doit accéder à la fonction prédicat, il lui faut un outil qui est le plus souvent la copule «est». On pourra donc tirer la conclusion suivante: l’absence de classes syntaxiques bien définies en créole est due au fait que la distribution syntaxique se fait essentiellement sur des critères de compatibilité ou d’incompatibilité entre le signifié (= sens) de telle ou telle unité significative et le contenu de telle ou telle fonction.

Ceci explique pourquoi, si on ne peut parler en créole de classes syntaxiques au sens où on l’entend en français, il y a tout de même une fréquence d’utilisation plus grande de certains monèmes dans certaines fonctions : certains monèmes assument plus volontiers et plus souvent certains rôles syntaxiques parce que leurs signifiés les y prédisposent. Ainsi des éléments comme kouri, chanté, manjé seront plus fréquemment utilisés comme prédicats, de même que des éléments comme bel, jenn, led seront plus fréquemment utilisés comme adjectivaux mais rien ne les empêche, pour les besoins de la communication, d’être utilisés dans d’autres fonctions.
 

FICHES CAPES DE CREOLE (Sociolinguistique)

QU’EST-CE QUE L’AMENAGEMENT LINGUISTIQUE ?

Lorsque un pays possède une langue majoritairement orale et qu’il désire en faire sa langue nationale ou officielle, il se doit de procéder à ce que l’on appelle l’aménagement linguistique lequel peut être défini, selon Albert Valdman, par les 4 actions suivantes:

  • La sélection du code linguistique c’est-à-dire le choix d’une variété dialectale ou sociolectale.
  • La standardisation (ou codification) qui implique le choix d’un code graphique et l’établissement d’une norme.
  • L’enrichissement (ou élaboration), notamment du vocabulaire mais aussi de la syntaxe.
  • L’illustration de la langue par une production littéraire.

L’aménagement linguistique étant du ressort du pouvoir étatique, seuls les Seychelles, l’île Maurice et Haïti, pays créolophones indépendants, ont pu la mettre en œuvre, ce qui ne peut, pour des raisons jurido-politiques évidentes, être le cas dans les 4 DOM. Examinons chacun de ces 4 points un à un:

  • s’agissant de la sélection du code linguistique, il a fallu, en Haïti par exemple, faire un choix entre les 3 principaux dialectes du pays: celui du centre (Port-au-Prince), celui du Nord (Cap Haïtien) et celui du Sud (Les Cayes). C’est celui du centre qui a prévalu. Ce choix s’appelle un choix géolectal. Ensuite, il a fallu faire un choix entre les différentes sous-variétés en usage dans le Centre: «gros» créole, celui du peuple des bidonvilles; créole «mulâtre», celui de la bourgeoisie; créole des médias (surtout la radio). C’est ce dernier qui semble avoir prévalu sans que cela ait été dit clairement. Ce choix s’appelle un choix sociolectal. Sur quoi les aménageurs linguistiques se sont-ils fondés pour opérer de tels choix? Il apparaît que les critères linguistiques n’ont pas été déterminants car dans le choix géolectal ce sont des raisons politico-économiques qui ont prévalu: Port-au-Prince est en effet la capitale d’Haïti et son principal centre économique. Pour le choix sociolectal, c’est le critère du prestige qui a prévalu: le «gros» créole est dévalorisé et n’est parlé que par des gens très pauvres et analphabètes. On notera qu’aux Antilles-Guyane, le GEREC-F a fait un choix inverse en privilégiant la déviance maximale c’est-à-dire le choix d’une forme de créole la plus éloignée que possible du français. Les DOM étant des départements français, ce choix s’y résume à un vœu pieux.
  • s’agissant de la standardisation, l’unanimité semble s’être faite depuis 30 ans sur le rejet de la graphie étymologique au profit de graphies phonético-phonologiques. Ce pluriel indique que plusieurs systèmes phonético-phonologiques ont été choisis selon les pays concernés. Ainsi en Haïti, l’accent aigu a été supprimé et l’on écrit tonbe là ou le GEREC-F écrit tonbé; A Maurice, on écrit le «ou» u et donc mun là où le GEREC-F écrit moun etc…Aux Antilles-Guyane, c’est le système GEREC-F qui prévaut depuis près d’une vingtaine d’années. Pour ce qui est de l’établissement d’une norme, les choses sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre et c’est principalement l’institution scolaire qui en a la charge. Seuls deux pays, Haïti et les Seychelles, ont une politique scolaire créolophone conséquente puisque le créole y est enseigné à l’écrit dès l’école primaire mais ce n’est qu’aux Seychelles qu’un certain effort a été fait pour «normaliser» le créole.
  • s’agissant de l’enrichissement, on ne s’étonnera pas qu’Haïti, fort de ses 7 millions de créolophones unilingues ne s’en soit guère préoccupés. Le français (ou l’anglais) n’y est pas en position d’anéantir le créole comme dans les autres pays créolophones et les Haïtiens n’ont aucune crainte d’emprunter massivement des mots français (ou anglais). Dans tous les autres pays où la concurrence est forte entre le créole et le français/anglais, la nécessité de doter le créole d’un vocabulaire intellectuel non inféodé au français s’est fait ressentir. Ainsi aux Seychelles, l’activité néologique, sous la houlette de Lenstiti Kréyol est très forte dans des disciplines comme les Sciences Naturelles par exemple. Aux Antilles-Guyane, surtout en Martinique, de nombreuses expériences néologiques sont tentées depuis deux décennies.
  • s’agissant de l’illustration du créole par des œuvres littéraires, c’est, semble-t-il, le secteur où l’aménagement linguistique est le plus avancé. On a assisté dans tous les pays créolophones, et cela à partir des années 70, a une explosion de la production littéraire en créole dans tous les genres, aussi bien les genres où traditionnellement le créole avait l’habitude de s’illustrer (fable, poésie, théâtre) que dans ceux où il était balbutiant (nouvelle, roman, essai).

Pour qu’un aménagement linguistique puisse être considéré comme réussi, il faut que ces 4 activités soient menées à bien. Rien ne sert, par exemple, d’avoir une brillante littérature en créole (activité 4) si l’on est incapable de définir une norme (activité 2) acceptée par tous.
 

FICHES CAPES DE CREOLE (sociolinguistique)

QU’EST-CE QUE L’INSECURITE LINGUISTIQUE ?

Le concept d’insécurité linguistique apparaît pour la première fois dans l’ouvrage Sociolinguistique de l’Américain William Labov en 1976. A sa suite, d’autres linguistes, notamment les Français Gueunier, Genouvrier et Francart en ont affiné la définition. Il est bon de noter toutefois qu’il n’y a pas chez Labov de réelle théorisation de l’expression «insécurité linguistique» mais une double démarche:

  • le repérage des symptômes de l’insécurité linguistique: ceux-ci sont davantage repérables dans la petite-bourgeoisie que dans les autres classes sociales à cause de la forte conscience de la norme chez celle-ci et l’auto-dévalorisation de son propre parler.
  • la mesure de l’insécurité linguistique au moyen d’un test qui donne l’indice d’insécurité linguistique ou IIL.

En fait, Labov a créé cette notion dans le but de montrer le rôle moteur joué par la petite-bourgeoisie dans la diffusion du changement linguistique. Il va effectuer ainsi une vaste enquête sur «la stratification sociale de l’anglais à New-York».

La notion d’insécurité linguistique est liée à deux autres:

  1. La communauté linguistique.
  2. La norme.

L’insécurité linguistique se marque par un sentiment de faute chez le locuteur, par un manque d’assurance dans la prise de parole et surtout par l’hypercorrection. Dans la situation de diglossie des Antilles, l’hypercorrection ne touche que la langue haute à savoir le français car ce dernier représente à lui tout seul la norme. Elle ne touche pas la langue basse, à savoir le créole, que l’on estime pouvoir parler n’importe comment du fait de sa faible standardisation.

Dans le français des Antilles, l’hypercorrection se marque:

  • au plan phonologique: par l’adjonction de phonèmes «parasites». Ainsi le «r» dans «un proint c’est tout !» au lieu de un point c’est tout !».
  • au plan syntaxique par l’accumulation de relateurs ou de connecteurs. Ainsi «dont auquel» dans «l’homme dont auquel je t’ai parlé».
  • au plan lexical par l’abus de termes pompeux, rares ou abstraits ou d’expression livresques souvent employés à mauvais escient. Ainsi: «la vastitude de notre attachement amical» pour «notre grande amitié ».

Pour en revenir au plan de la théorie, à côté de la théorie de l’insécurité linguistique élaborée par l’Américain Lavov et, plus tard, le Français Pierre Bourdieu, il existe une autre analyse fondée sur la notion de «Diglossie» telle qu’elle a été décrite par Ferguson dans la revue Word en 1959. Pour ce dernier, qui fait une analyse fonctionnaliste, il existe une sorte de division du travail linguistique entre les langues: le français s’occupant de la communication formelle et le créole de la communication informelle. Dans la conception fergusonienne, l’insécurité linguistique se produit lorsque ce partage fonctionnel ne se réalise pas comme il devrait. Ex: faire un sermon en créole ou un cours universitaire en créole ou au contraire faire de l’humour ou injurier en français. Dans le premier cas, à moins que le locuteur n’ait été formé pour cela, il aura d’énormes difficultés à s’exprimer; dans le second, tout le monde sait que les créolophones ont le plus grand mal à plaisanter en français ou à injurier, sauf chez les très jeunes générations (18-20 ans) élevées avec la télévision. D’où une insécurité linguistique dans les deux cas.
 

FICHES CAPES DE CREOLE (Littérature)

PERIODISATION DE LA LITTERATURE CREOLE

Pour les très anciennes littératures comme la française ou l’anglaise, l’unité de découpage est le siècle: on dira, par exemple, que le 16č siècle est celui de la Renaissance ou le 19č celui du romantisme. Pour la littérature écrite en créole, ce n’est pas possible pour les raisons suivantes:

  • l’écrit littéraire en créole est très récent (milieu du 18č siècle).
  • l’écrit littéraire en créole a toujours été sporadique et une tradition d’écriture dans cette langue n’a pu encore prendre forme.
  • du fait du statut minoré du créole et de l’oralité fondamentale de cette langue, les rares textes écrits en créole n’ont pas pu constituer une «littérature ».

Néanmoins, on constate, pour peu que l’on considère l’ensemble des territoires créolophones des Amériques (de la Louisiane au Nord à la Guyane au sud), qu’un corpus relativement conséquent de textes écrits en créole existe bel et bien. Au sein de ce corpus, on peut tenter la périodisation suivante:

  • les textes békés (1757-1885) et les proclamations napoléoniennes.
  • les textes régionalistes écrits principalement par des hommes de couleur (1885-1962).
  • la littérature créole proprement dite (1962 à nos jours).

Justifications:

  • 1757 est la date de publication du tout premier texte écrit en créole, Lisette quitté la plaine dû au Blanc créole de Saint-Domingue, Duvivier de la Mahautière.
  • 1885 est la date de publication du premier roman jamais écrit en créole : Atipa dû au Mulâtre guyanais Alfred Parépou (dont Marguerite Saint-Jacques-Fauquenoy dit qu’il n’est autre qu’Alfred Meyterand, conseiller général de Cayenne à l’époque).
  • 1962 est la date de publication de la première pièce de théâtre en créole ayant un contenu politique, Agénor Cacoul du Martiniquais Georges Mauvois.

S’agissant de la troisième période, on pourrait, si l’on tient compte d’Haïti, la faire remonter à 1958 lorsque l’Haïtien Félix Morisseau-Leroy traduit Antigone et Le Roi Créon, pièces de l’antiquité grecque dues à Sophocle.

Chacune de ces trois périodes possède ses caractéristiques propres. Ainsi la première se déroule-t-elle pendant l'esclavage et les textes créoles sont l’œuvre des seuls Blancs créoles puisque le Code Noir (1685) interdisait l’apprentissage de la lecture et de l’écriture aux esclaves noirs. La seconde période, marquée par l’entrée en scène des auteurs mulâtres, a un souci plus grand du pays, de ses mœurs, de son paysage etc…La troisième, quant à elle, peut être qualifiée de révolutionnaire dans la mesure où le créole va, pour la première fois être considéré comme une langue à part entière, où une graphie phonético-phonologique, radicalement différente de l’orthographe française sera mise sur pied et où des préoccupations politiques et sociales balayeront les poèmes d’amour et les historiettes amusantes.
 

FICHES CAPES DE CREOLE (Littérature)

« ATIPA » D’ALFRED PAREPOU EST-IL UN ROMAN ?

Il existe un vaste débat pour savoir si le tout premier roman en langue créole, Atipa (1885) du Guyanais Alfred Parépou est un roman ou pas. Tout d’abord, il faut remarquer deux choses:

  • le 19č siècle est, en Europe, l’âge d’or du roman avec Balzac, Stendhal, Flaubert, Thomas Hardy, Dickens, Dostoïevsky etc…
  • sur la couverture de la première édition d’ Atipa, l’auteur a tenu à indiquer «roman guyanais».

D’entrée de jeu, on constate que ce roman ne ressemble absolument pas du point de vue de sa forme et de sa construction aux grands romans européens de son époque. Dans ces derniers, en effet, le texte se décompose en 3 grands blocs:

  • la narration.
  • la description.
  • les dialogues.

Dans le roman classique européen, c’est là l’ordre d’importance de chacun de ces blocs. La narration occupe plus de place que la description laquelle occupe plus de place que les dialogues. Or, dans Atipa, les dialogues occupent 80% de l’ensemble du texte. Ce dernier est ensuite composé non pas d’une histoire linéaire, à la manière du roman classique, mais d’une suite de chapitres interchangeables, lisibles dans n’importe quel ordre et construits tous de la même façon:

  1. Atipa, le héros, rencontre un ami dans la rue.
  2. Il invite ce dernier à boire un verre dans un bar.
  3. Tous deux discutent d’un sujet particulier (le créole, les élections, le quimbois, l’or etc…).

Les parties narratives sont très réduites dans ce texte et les parties descriptives sont quasiment inexistantes. Parépou ne donne, par exemple, aucune description de la ville de Cayenne à la fin du 19č siècle. Tous ces éléments ont fait que la plupart des analystes refusent de considérer Atipa au sens classique du terme. D’autres, considèrent que Parépou a essayé d’inventer une forme romanesque propre à la fois à la culture guyanaise et aux possibilités que lui offraient à l’époque la langue créole. Pour appuyer cette deuxième analyse, la fin du texte reprend la formule habituelle des contes créoles: «J’étais caché sous la table, j’ai écouté ce que les gens disaient, l’un d’eux m’a aperçu et m’a flanqué un grand coup de pied qui m’a projeté jusqu’à vous et me permets donc de vous raconter cette histoire.»

Ce clin d’œil de Parépou à l’oraliture créole peut être compris comme une manière de montrer que l’écriture en créole est en continuité, et non pas en rupture, avec l’oraliture et surtout que la voix du roman créole n’est pas dans la simple reproduction des structures romanesques européennes mais dans l’exploration d’une forme originale, fut-elle de prime abord déroutante comme l’est Atipa.
 

FICHES CAPES DE CREOLE (Linguistique)


QU’APPELLE-T-ON LES VERBES SERIELS ?

La sérialisation consiste à juxtaposer, au sein de ce qui semble être un prédicat complexe, deux ou plusieurs verbes ayant un même sujet. Certains linguistes y voient l’un des rares cas probants d’interférence africaine dans les langues créoles mais si la sérialisation est bien attestée en Afrique, sur une zone qui va du Libéria au Cameroun, elle l’est tout autant hors d’Afrique (en Papouasie, en Chine etc…). Il semble donc qu’il s’agisse d’un phénomène universel.

En 1978, Jansen, Koopman et Muysken ont donné une définition de la sérialisation comportant 2 critères principaux:

  • un seul sujet pour plus d’un verbe.
  • pas de morphème reliant explicitement ces verbes.
    (Ex : Boug-la kouri-monté-désann lè i wè bef-la)

et 3 critères complémentaires:

  • si l’un des verbes fait fonction par rapport à un autre de modal ou d’auxiliaire, il ne s’agit pas d’une construction sérielle (Ex. Il avait mangé comporte bien deux verbes mais comme avait est un auxiliaire, il n’y a pas là sérialisation.)
  • si l’un des verbes est un infinitif complément d’un autre verbe (ex. Il avait voulu manger comporte bien trois verbes qui se suivent mais avait est un auxiliaire et manger est un infinitif complément, il n’y a donc pas là sérialisation.)
  • la construction sérielle comprend souvent un verbe «lexical », appartenant à une classe étendue et un ou plusieurs verbes « grammaticaux » choisis dans une classe restreinte

Ces trois derniers critères ne sont pas d’application aisée quand on les applique aux créoles à base lexicale française. En effet, il est difficile dans les créoles de distinguer entre marqueurs prédicatifs (ka, té, té ka etc…), verbes auxiliaires ou verbes semi-auxiliaires; de même il est malaisé de distinguer « verbe modal », verbe « grammatical » et verbe «lexical».

Ce qui caractérise la sérialisation c’est le fait que la juxtaposition linéaire des lexèmes verbaux perd son caractère énumératif, qui autoriserait la pluralité des sujets, pour assumer une fonction analytique: désigner les signifiés pris en compte dans la construction du constituant verbal.

NOTE:

En créole, la sérialisation, si elle touche principalement les verbes et donc le domaine lexical, se retrouve aussi au niveau adjectival:

Ex. Liza sé an bel jenn ti fanm.

Au niveau adverbial:

Ex. I pati vitman-présé lakay-li/a kaz a’y.

C’est sûrement à ces deux niveaux, adjectival et adverbial, que la sérialisation en créole est une forme grammaticale spécifique à cette langue, la sérialisation verbale étant universelle.
 

FICHES CAPES DE CREOLE (Linguistique)

FAUT-IL PARLER « DU » CREOLE OU « DES » CREOLES ?

Pour répondre à cette question, il faut savoir à quel niveau on se place. En effet, si l’on s’en tient au seul plan linguistique, il est clair qu’il faut parler «des» créoles et non «du créole» car chaque créole possède sa phonologie propre, sa syntaxe et son lexique particuliers, même si ceux-ci sont très proches de ceux des autres créoles. Mais on sait bien aujourd’hui qu’une langue ne saurait se définir au seul plan linguistique. En effet, toute une série de facteurs extra-linguistiques interviennent - facteurs historiques, politiques etc… - qui contribuent tout autant que le facteur linguistique a définir la langue. Ainsi davantage que les structures linguistiques, c’est la volonté d’une communauté donnée de se doter d’une langue propre qui est le facteur décisif. Deux exemples très éclairants:

  • lorsque la Tchécoslovaquie a éclaté en deux pays, dans les années 80, à savoir la Tchéquie et la Slovaquie, les Slovaques ont décidé qu’ils parlaient une langue différente de leurs ex-alliés, le slovaque, ceci bien qu’il y ait une intercompréhension totale entre Slovaques et Tchèques, exactement comme entre Martiniquais et Guadeloupéens.
  • lorsque la Yougoslavie a éclaté dans les années 90, trois langues ont subitement apparu par décision politique: le serbe, le croate et le bosniaque correspondant aux trois nouveaux états. Jusque là, les populations de ces trois régions parlaient une seule et même langue, le serbo-croate.

S’agissant donc du ou des créoles, il n’y a aucune raison de s’en tenir au seul plan linguistique. Il est tout à fait possible de parler «du» créole au singulier dès l’instant où l’on fait intervenir des critères historiques, épilinguistiques ou idéologiques. En effet, il existe une parenté génétique entre les créoles de chacune des deux grandes zones créolophones. Les créoles américains (haïtien, guadeloupéen, dominiquais, martiniquais, saint-lucien, guyanais etc…) entretiennent des liens de parenté à la fois linguistiques et historiques, tout comme les créoles océanindiens entre eux (seychellois, mauricien, réunionnais).

Entre les deux grandes zones, il existe une parenté typologique c’est-à-dire que créoles américains et créoles océanindiens appartiennent au même «type» de langues. En clair, ils présentent des ressemblances frappantes bien que d’une zone à l’autre, il n’y ait aucun lien génétique. Il en va de même chez les langues que chez les humains: chez ces derniers, on trouve des gens qui se ressemblent sans avoir la moindre parenté, le cas le plus extrême étant celui des sosies.

Fort donc de cette double parenté - génétique à l’intérieur de chaque zone et typologique entre les deux zones - il est tout à fait possible de parler «du» créole au singulier. Les Arabes, qui possèdent 22 dialectes différents, parlent bien de «la» langue arabe au singulier par décision politico-culturelle et religieuse.

REPETONS-LE: dans la définition d’une langue, le critère linguistique s’il est premier est loin d’être le plus déterminant.
 

FICHES CAPES DE CREOLE (Littérature)


POURQUOI NAPOLEON FIT-IL REDIGER DES PROCLAMATIONS EN CREOLE ?

Il faut noter tout d’abord que 40 proclamations en créole ont été prises à l’époque napoléonienne (tant celle où Napoléon n’était que Premier Consul de la République que celle où il se fit sacrer Empereur c’est-à-dire de la fin du 18č siècle aux premières années du 19č). Toutes ne sont pas signées de Napoléon mais de ses émissaires dont le plus célèbre fut Sonthonax à Saint-Domingue.

Avant de répondre à la question posée, il convient de s’arrêter sur le terme proclamation lui-même. En effet, même si ces textes ont pris la forme matérielle d’affiches que l’on apposait un peu partout, il faut garder à l’esprit qu’ils étaient lus au son du tambour sur les places publiques. En effet, ceux auxquels ces textes étaient adressés - les Noirs récemment libérés de l’esclavage - ne savaient pas lire et les très rares qui le savaient (comme le futur Toussaint-Louverture) n’avaient jamais eu l’occasion de lire du créole de toute leur vie. Ces textes étaient donc faits pour être «proclamés» au sens premier du terme.

Il faut se garder de voir là une pratique nouvelle, spécialement inventée pour les «isles d’Amérique». En effet, déjà dans l’Ancien Régime, à l’époque de la Royauté, quand à peine 1/3 des Français parlaient la langue française, il était courant que les édits royaux fussent lus au son du tambour dans les villages, cela en deux langues : d’abord dans la langue du Roi, le français; ensuite dans l’idiome local (provençal, gascon, basque ou breton). Il faut rappeler que la Révolution Française (1789) n’a pas pu modifier la situation linguistique de la France malgré les efforts entrepris par l’abbé Grégoire qui procéda à une vaste enquête à travers tous le territoire sur «les patois et les moyens de les éradique». Les effets de l’action de l’homme sur la langue ne se mesurent pas, en effet, à l’échelle d’une vie humaine. Si bien que lorsque Napoléon arriva au pouvoir, à la fin de la Révolution, il ne put que continuer cette pratique de «proclamation» des lois et quand il dût affronter la révolte des Noirs à Saint-Domingue, en Guadeloupe et en Guyane, il la transposa simplement aux Amériques.

Pourquoi le pouvoir napoléonien usa-t-il du créole et non pas du français alors qu’à cette époque le créole n’était pas considéré comme une langue mais comme un vulgaire patois, pire que le provençal ou le breton, car en plus patois de Nègres? C’est parce que tous les moyens de persuasion avaient été utilisés pour inciter les Nègres, libérés de l’esclavage en 1793, à regagner les habitations de canne à sucre. Les Békés martiniquais, ayant placé la Martinique sous contrôle anglais dès le début de la Révolution de 1789, parvinrent à y maintenir le système esclavagiste. Dans les trois autres colonies - Saint-Domingue, Guadeloupe et Guyane - les Békés subirent une véritable déroute, assimilés qu’ils furent à la noblesse française et subissant tout comme elle les rigueurs de la guillotine. La conséquence de cette abolition de l’esclavage fut la ruine économique de ces trois colonies. En effet, il n’y avait plus personne pour couper la canne et les habitations étaient laissées à l’abandon.

Lorsque Napoléon arriva au pouvoir il fit tout son possible pour refaire de ces colonies des territoires qui contribuent à l’enrichissement de la France comme c’était le cas avant 1789. Pour cela, il fallait absolument convaincre les Nègres de retourner travailler sur les habitations. L’usage du créole visait à leur montrer que Napoléon était animé de bonnes intentions puisqu’il utilisait leur idiome et qu’il n’avait donc aucune intention de rétablir l’esclavage comme le prétendaient des rumeurs persistantes. C’est pourquoi la plupart de ces proclamations emploient un ton doucereux, conciliant, exhortent les Noirs à se comporter «en vrais citoyens français» tout en se terminant par des menaces voilées de répression en cas de refus d’obtempérer. Cet usage du créole avait donc une visée essentiellement pragmatique.

Le résultat fut totalement négatif: les Noirs augmentèrent leur révolte à Saint-Domingue et libérèrent définitivement le pays du joug français. En Guadeloupe, ils se révoltèrent jusqu’à la mort (Ignace, Delgrès etc.) et en Guyane, ils s’enfuirent dans la forêt ou furent rapidement matés à cause de leur trop petit nombre.
 

FICHES CAPES DE CREOLE (Littérature)


DE QUAND DATE LE THEATRE EN CREOLE DANS LES PETITES-ANTILLES?

Si le théâtre est une pratique relativement ancienne en Martinique et en Guadeloupe, on peut constater que, contrairement à Saint-Domingue, on n’y pratiquait que le répertoire français jusqu’à une date très récente. En effet, avant l’indépendance de la grande île du Nord (le 1 janvier 1804), les théâtres fleurissaient à Port-au-Prince, au Cap Français ou à Jacmel. On y jouait aussi bien Corneille, Molière ou des opérettes à l’italienne que des pièces en créole, tantôt originales tantôt traductions de pièces françaises (comme «Le devin du village» de Jean-Jacques Rousseau). Dans les Petites Antilles, rien de tel. Dans le magnifique théâtre de Saint-Pierre, réplique exacte du théâtre de Bordeaux, on ne jouait, jusqu’en 1902, que du théâtre français.

A côté de ce théâtre officiel existaient deux autres formes de théâtre, toujours français et en français: des pièces écrites par de rares dramaturges antillais et des pièces crées par les élèves des différents séminaires et lycées qu’ils jouaient en fin d’année. Au niveau populaire existait parallèlement une forme embryonnaire de théâtre, la saynète, souvent en créole ou utilisant le créole et le français. Ces saynètes étaient jouées dans les fêtes patronales et ne possédaient pas de texte écrit ni d’auteur identifié. La plus célèbre, qui finit par devenir un énorme succès en Martinique tout au long des années 60 et accéda à la scène théâtrale fut Cancan Case Marsabé qui dura près d’une dizaine d’années et fut jouée une bonne cinquantaine de fois. Rejouée tout récemment, cette pièce n’est toujours pas disponible sous forme imprimée. On peut toutefois citer avant cela quelques opérettes en créole jouées au théâtre de Basse-Terre à la fin du 19č siècle et dues à Paul Baudot ainsi que certaines petites pièces comiques, mêlant créole et français, dans les années 50 du siècle suivant, dues au Guadeloupéen Gilbert de Chambertrand, membre-fondateur de l’A.C.R.A (Académie Créole Antillaise).

Il a fallu donc attendre 1962 avec la parution d’Agénor Cacoul du Martiniquais Georges Mauvois pour que le créole soit utilisé au théâtre dans un registre non comique. Dans cette pièce, où créole et français cohabitent selon les règles de la diglossie, le créole acquiert une dignité inconnue jusque là dans la bouche des coupeurs de canne qu’elle met en scène. Pour la première fois, le créole acquiert aussi dimension politique dans la mesure où Agénor Cacoul est une véritable mise en scène de la diglossie. En effet, il s’agit d’une satire féroce d’un maire véreux, Cacoul, à la solde des planteurs békés, qui refuse de soutenir les travailleurs agricoles à l’occasion d’une de ces grandes grèves qui éclataient au tout début de la récolte (janvier-février). Dans la pièce, le français est l’apanage du pouvoir: celui du gouverneur métropolitain, du grand planteur béké et du maire Cacoul lorsque ce dernier est en position d’exercer son pouvoir; le créole, par contre, est la langue des coupeurs de canne et le symbole de leur révolte contre un système oppresseur. Mais, plus intéressant, est le jeu des langues chez les personnages qui utilisent les deux langues: dans une scène très frappante, Cacoul et sa secrétaire qui est aussi sa maîtresse, une ancienne employée de cantine qu’il a fait monter en grade, le couple alterne, parfois dans la même réplique, créole et français selon un jeu subtil qui veut que chaque fois que Cacoul veut attendrir la jeune femme, il se sert du créole tandis que quand il la réprimande ou veut réaffirmer son statut de maire et donc sa supériorité hiérarchique par rapport à elle, il a recours au français. De même, la jeune femme sait, elle aussi, jouer sur toutes les gammes de la diglossie pour faire prévaloir son point de vue.

A partir du milieu des années 70, le théâtre en créole, très souvent politisée et à coloration nationaliste ou indépendantiste, va exploser d’abord en Guadeloupe avec le «Théâtre du cyclone» dont la pièce Nuit blanch est restée célèbre, puis en Martinique avec le «Téyat lari» de Roland Brival lequel tente une sorte d’hybridation entre le conte créole, l’oraliture en général et des formes de théâtre européen ou américain moderne.
 

 
 
 
 

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