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Dissertation créole 3
Questions de l'oral.
1éme Partie
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par Raphaël CONFIANT |
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FICHES CAPES
DE CREOLE (Linguistique)
EXISTE-T-IL DES CLASSES SYNTAXIQUES EN CREOLE ?
Les monèmes des langues romanes, et donc du français,
se distribuent selon des classes syntaxiques bien distinctes:
- classe des nominaux : maison, voiture
etc…
- classe des verbaux : chanter, partir
etc…
- classe des adjectifs : beau, méchant
etc…
- classe des adverbes : fortement, lentement
etc…
(Note: il faut noter que certains procédés
morphologiques permettent à des éléments d’une
classe d’accéder à une fonction que cette classe
n’admet pas: c’est le cas de la copule (= être)
qui permet à des non-verbes (adjectifs, nominaux etc.) de
jouer un rôle de prédicat. Ex. Il est beau.)
Lorsque l’on considère les langues créoles,
on constate que la détermination des classes syntaxiques
est une tâche très difficile et que la morphologie
est loin de jouer le rôle d’aiguilleur syntaxique qu’elle
a en français. Ainsi, la frontière entre la classe
des verbaux et celle des nominaux est-elle très fragile comme
dans l’exemple suivant:
I chanté an bel chanté
yè oswè.
Lè ou ka bo mwen, ba mwen an bel bo.
(Note: dans ces exemples, le même monème
peut jouer à la fois un rôle prédicatif et un
rôle nominal).
Comme l’est celle entre les nominaux et les adjectivaux
comme dans les exemples:
An vlé achté on bef.
Fout boug-lasa bef !
Il est difficile également de tracer une frontière
nette entre les monèmes adjectivaux et les monèmes
adverbiaux comme dans:
Bwa-a ou koupé la sek.
Loto-a pwan tounan-la sek.
L’absence de protectionnisme aux frontières
des classes syntaxiques rend inutile la nécessité
d’un passeport d’une classe à l’autre.
Ce qui n’est pas le cas en français dans lequel lorsqu’un
nominal ou un adjectival doit accéder à la fonction
prédicat, il lui faut un outil qui est le plus souvent la
copule «est». On pourra donc tirer la conclusion suivante:
l’absence de classes syntaxiques bien définies en créole
est due au fait que la distribution syntaxique
se fait essentiellement sur des critères de compatibilité
ou d’incompatibilité entre le signifié
(= sens) de telle ou telle unité significative
et le contenu de telle ou telle fonction.
Ceci explique pourquoi, si on ne peut parler en créole
de classes syntaxiques au sens où on l’entend en français,
il y a tout de même une fréquence d’utilisation
plus grande de certains monèmes dans certaines fonctions
: certains monèmes assument plus volontiers et plus souvent
certains rôles syntaxiques parce que leurs signifiés
les y prédisposent. Ainsi des éléments comme
kouri, chanté, manjé seront plus fréquemment
utilisés comme prédicats, de même que des éléments
comme bel, jenn, led seront plus fréquemment utilisés
comme adjectivaux mais rien ne les empêche, pour les besoins
de la communication, d’être utilisés dans d’autres
fonctions.
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FICHES CAPES
DE CREOLE (Sociolinguistique)
QU’EST-CE QUE L’AMENAGEMENT LINGUISTIQUE ?
Lorsque un pays possède une langue majoritairement orale
et qu’il désire en faire sa langue nationale ou officielle,
il se doit de procéder à ce que l’on appelle
l’aménagement linguistique lequel peut être défini,
selon Albert Valdman, par les 4 actions suivantes:
- La sélection du code linguistique c’est-à-dire
le choix d’une variété dialectale ou sociolectale.
- La standardisation (ou codification) qui implique
le choix d’un code graphique et l’établissement
d’une norme.
- L’enrichissement (ou élaboration),
notamment du vocabulaire mais aussi de la syntaxe.
- L’illustration de la langue par une
production littéraire.
L’aménagement linguistique étant du ressort
du pouvoir étatique, seuls les Seychelles, l’île
Maurice et Haïti, pays créolophones indépendants,
ont pu la mettre en œuvre, ce qui ne peut, pour des raisons
jurido-politiques évidentes, être le cas dans les 4
DOM. Examinons chacun de ces 4 points un à un:
- s’agissant de la sélection du code linguistique,
il a fallu, en Haïti par exemple, faire un choix entre les
3 principaux dialectes du pays: celui du centre (Port-au-Prince),
celui du Nord (Cap Haïtien) et celui du Sud (Les Cayes).
C’est celui du centre qui a prévalu. Ce choix s’appelle
un choix géolectal. Ensuite, il a fallu
faire un choix entre les différentes sous-variétés
en usage dans le Centre: «gros» créole, celui
du peuple des bidonvilles; créole «mulâtre»,
celui de la bourgeoisie; créole des médias (surtout
la radio). C’est ce dernier qui semble avoir prévalu
sans que cela ait été dit clairement. Ce choix s’appelle
un choix sociolectal. Sur quoi les aménageurs
linguistiques se sont-ils fondés pour opérer de
tels choix? Il apparaît que les critères linguistiques
n’ont pas été déterminants car dans
le choix géolectal ce sont des raisons politico-économiques
qui ont prévalu: Port-au-Prince est en effet la capitale
d’Haïti et son principal centre économique.
Pour le choix sociolectal, c’est le critère du prestige
qui a prévalu: le «gros» créole est
dévalorisé et n’est parlé que par des
gens très pauvres et analphabètes. On notera qu’aux
Antilles-Guyane, le GEREC-F a fait un choix inverse en privilégiant
la déviance maximale c’est-à-dire le choix
d’une forme de créole la plus éloignée
que possible du français. Les DOM étant des départements
français, ce choix s’y résume à un
vœu pieux.
- s’agissant de la standardisation, l’unanimité
semble s’être faite depuis 30 ans sur le rejet
de la graphie étymologique au profit de graphies phonético-phonologiques.
Ce pluriel indique que plusieurs systèmes phonético-phonologiques
ont été choisis selon les pays concernés.
Ainsi en Haïti, l’accent aigu a été supprimé
et l’on écrit tonbe là ou le GEREC-F écrit
tonbé; A Maurice, on écrit le «ou» u
et donc mun là où le GEREC-F écrit moun etc…Aux
Antilles-Guyane, c’est le système GEREC-F qui prévaut
depuis près d’une vingtaine d’années.
Pour ce qui est de l’établissement d’une norme,
les choses sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre
et c’est principalement l’institution scolaire qui
en a la charge. Seuls deux pays, Haïti et les Seychelles,
ont une politique scolaire créolophone conséquente
puisque le créole y est enseigné à l’écrit
dès l’école primaire mais ce n’est qu’aux
Seychelles qu’un certain effort a été fait
pour «normaliser» le créole.
- s’agissant de l’enrichissement, on ne s’étonnera
pas qu’Haïti, fort de ses 7 millions de créolophones
unilingues ne s’en soit guère préoccupés.
Le français (ou l’anglais) n’y est pas en position
d’anéantir le créole comme dans les autres
pays créolophones et les Haïtiens n’ont aucune
crainte d’emprunter massivement des mots français
(ou anglais). Dans tous les autres pays où la concurrence
est forte entre le créole et le français/anglais,
la nécessité de doter le créole d’un
vocabulaire intellectuel non inféodé au français
s’est fait ressentir. Ainsi aux Seychelles, l’activité
néologique, sous la houlette de Lenstiti Kréyol
est très forte dans des disciplines comme les Sciences
Naturelles par exemple. Aux Antilles-Guyane, surtout en Martinique,
de nombreuses expériences néologiques sont tentées
depuis deux décennies.
- s’agissant de l’illustration du créole par
des œuvres littéraires, c’est, semble-t-il,
le secteur où l’aménagement linguistique est
le plus avancé. On a assisté dans tous les pays
créolophones, et cela à partir des années
70, a une explosion de la production littéraire en créole
dans tous les genres, aussi bien les genres où traditionnellement
le créole avait l’habitude de s’illustrer (fable,
poésie, théâtre) que dans ceux où il
était balbutiant (nouvelle, roman, essai).
Pour qu’un aménagement linguistique puisse être
considéré comme réussi, il faut que ces 4 activités
soient menées à bien. Rien ne sert, par exemple,
d’avoir une brillante littérature en créole
(activité 4) si l’on est incapable de définir
une norme (activité 2) acceptée par tous.
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FICHES
CAPES DE CREOLE (sociolinguistique)
QU’EST-CE QUE L’INSECURITE LINGUISTIQUE ?
Le concept d’insécurité linguistique apparaît
pour la première fois dans l’ouvrage Sociolinguistique
de l’Américain William Labov en 1976. A sa suite, d’autres
linguistes, notamment les Français Gueunier, Genouvrier et
Francart en ont affiné la définition. Il est bon de
noter toutefois qu’il n’y a pas chez Labov de réelle
théorisation de l’expression «insécurité
linguistique» mais une double démarche:
- le repérage des symptômes de l’insécurité
linguistique: ceux-ci sont davantage repérables dans la
petite-bourgeoisie que dans les autres classes sociales à
cause de la forte conscience de la norme chez
celle-ci et l’auto-dévalorisation de son propre parler.
- la mesure de l’insécurité linguistique
au moyen d’un test qui donne l’indice d’insécurité
linguistique ou IIL.
En fait, Labov a créé cette notion dans le but de
montrer le rôle moteur joué par la petite-bourgeoisie
dans la diffusion du changement linguistique. Il
va effectuer ainsi une vaste enquête sur «la stratification
sociale de l’anglais à New-York».
La notion d’insécurité linguistique est liée
à deux autres:
- La communauté linguistique.
- La norme.
L’insécurité linguistique se marque par un
sentiment de faute chez le locuteur, par un manque d’assurance
dans la prise de parole et surtout par l’hypercorrection.
Dans la situation de diglossie des Antilles, l’hypercorrection
ne touche que la langue haute à savoir le français
car ce dernier représente à lui tout seul la norme.
Elle ne touche pas la langue basse, à savoir le créole,
que l’on estime pouvoir parler n’importe comment du
fait de sa faible standardisation.
Dans le français des Antilles, l’hypercorrection
se marque:
- au plan phonologique: par l’adjonction de phonèmes
«parasites». Ainsi le «r» dans «un
proint c’est tout !» au lieu de un
point c’est tout !».
- au plan syntaxique par l’accumulation de relateurs ou
de connecteurs. Ainsi «dont auquel» dans «l’homme
dont auquel je t’ai parlé».
- au plan lexical par l’abus de termes pompeux, rares ou
abstraits ou d’expression livresques souvent employés
à mauvais escient. Ainsi: «la vastitude de notre
attachement amical» pour «notre grande amitié
».
Pour en revenir au plan de la théorie, à côté
de la théorie de l’insécurité linguistique
élaborée par l’Américain Lavov et, plus
tard, le Français Pierre Bourdieu, il existe une autre analyse
fondée sur la notion de «Diglossie» telle qu’elle
a été décrite par Ferguson dans la revue Word
en 1959. Pour ce dernier, qui fait une analyse fonctionnaliste,
il existe une sorte de division du travail linguistique entre les
langues: le français s’occupant de la communication
formelle et le créole de la communication informelle. Dans
la conception fergusonienne, l’insécurité linguistique
se produit lorsque ce partage fonctionnel ne se réalise
pas comme il devrait. Ex: faire un sermon en créole
ou un cours universitaire en créole ou au contraire faire
de l’humour ou injurier en français. Dans le premier
cas, à moins que le locuteur n’ait été
formé pour cela, il aura d’énormes difficultés
à s’exprimer; dans le second, tout le monde sait que
les créolophones ont le plus grand mal à plaisanter
en français ou à injurier, sauf chez les très
jeunes générations (18-20 ans) élevées
avec la télévision. D’où une insécurité
linguistique dans les deux cas.
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FICHES CAPES
DE CREOLE (Littérature)
PERIODISATION DE LA LITTERATURE CREOLE
Pour les très anciennes littératures comme la française
ou l’anglaise, l’unité de découpage est
le siècle: on dira, par exemple, que le 16č siècle
est celui de la Renaissance ou le 19č celui du romantisme.
Pour la littérature écrite en créole, ce n’est
pas possible pour les raisons suivantes:
- l’écrit littéraire en créole est
très récent (milieu du 18č siècle).
- l’écrit littéraire en créole a toujours
été sporadique et une tradition d’écriture
dans cette langue n’a pu encore prendre forme.
- du fait du statut minoré du créole et de l’oralité
fondamentale de cette langue, les rares textes écrits en
créole n’ont pas pu constituer une «littérature
».
Néanmoins, on constate, pour peu que l’on considère
l’ensemble des territoires créolophones des Amériques
(de la Louisiane au Nord à la Guyane au sud), qu’un
corpus relativement conséquent de textes écrits en
créole existe bel et bien. Au sein de ce corpus, on peut
tenter la périodisation suivante:
- les textes békés (1757-1885) et les proclamations
napoléoniennes.
- les textes régionalistes écrits principalement
par des hommes de couleur (1885-1962).
- la littérature créole proprement dite
(1962 à nos jours).
Justifications:
- 1757 est la date de publication du tout premier texte écrit
en créole, Lisette quitté la plaine dû au
Blanc créole de Saint-Domingue, Duvivier de la Mahautière.
- 1885 est la date de publication du premier roman jamais écrit
en créole : Atipa dû au Mulâtre guyanais Alfred
Parépou (dont Marguerite Saint-Jacques-Fauquenoy dit qu’il
n’est autre qu’Alfred Meyterand, conseiller général
de Cayenne à l’époque).
- 1962 est la date de publication de la première pièce
de théâtre en créole ayant un contenu politique,
Agénor Cacoul du Martiniquais Georges Mauvois.
S’agissant de la troisième période, on pourrait,
si l’on tient compte d’Haïti, la faire remonter
à 1958 lorsque l’Haïtien Félix Morisseau-Leroy
traduit Antigone et Le Roi Créon, pièces de l’antiquité
grecque dues à Sophocle.
Chacune de ces trois périodes possède ses caractéristiques
propres. Ainsi la première se déroule-t-elle pendant
l'esclavage et les textes créoles sont l’œuvre
des seuls Blancs créoles puisque le Code Noir (1685) interdisait
l’apprentissage de la lecture et de l’écriture
aux esclaves noirs. La seconde période, marquée par
l’entrée en scène des auteurs mulâtres,
a un souci plus grand du pays, de ses mœurs, de son paysage
etc…La troisième, quant à elle, peut être
qualifiée de révolutionnaire dans la mesure où
le créole va, pour la première fois être considéré
comme une langue à part entière, où une graphie
phonético-phonologique, radicalement différente de
l’orthographe française sera mise sur pied et où
des préoccupations politiques et sociales balayeront les
poèmes d’amour et les historiettes amusantes.
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FICHES CAPES
DE CREOLE (Littérature)
« ATIPA » D’ALFRED PAREPOU EST-IL UN ROMAN ?
Il existe un vaste débat pour savoir si le tout premier
roman en langue créole, Atipa (1885) du Guyanais Alfred Parépou
est un roman ou pas. Tout d’abord, il faut remarquer deux
choses:
- le 19č siècle est, en Europe, l’âge
d’or du roman avec Balzac, Stendhal, Flaubert, Thomas Hardy,
Dickens, Dostoïevsky etc…
- sur la couverture de la première édition d’
Atipa, l’auteur a tenu à indiquer «roman guyanais».
D’entrée de jeu, on constate que ce roman ne ressemble
absolument pas du point de vue de sa forme et de sa construction
aux grands romans européens de son époque. Dans ces
derniers, en effet, le texte se décompose en 3 grands blocs:
- la narration.
- la description.
- les dialogues.
Dans le roman classique européen, c’est là
l’ordre d’importance de chacun de ces blocs. La narration
occupe plus de place que la description laquelle occupe plus de
place que les dialogues. Or, dans Atipa, les dialogues occupent
80% de l’ensemble du texte. Ce dernier est ensuite
composé non pas d’une histoire linéaire, à
la manière du roman classique, mais d’une suite de
chapitres interchangeables, lisibles dans n’importe quel ordre
et construits tous de la même façon:
- Atipa, le héros, rencontre un ami dans la rue.
- Il invite ce dernier à boire un verre dans un bar.
- Tous deux discutent d’un sujet particulier (le créole,
les élections, le quimbois, l’or etc…).
Les parties narratives sont très réduites dans ce
texte et les parties descriptives sont quasiment inexistantes.
Parépou ne donne, par exemple, aucune description de la ville
de Cayenne à la fin du 19č siècle. Tous
ces éléments ont fait que la plupart des analystes
refusent de considérer Atipa au sens classique du terme.
D’autres, considèrent que Parépou a essayé
d’inventer une forme romanesque propre à la fois à
la culture guyanaise et aux possibilités que lui offraient
à l’époque la langue créole. Pour appuyer
cette deuxième analyse, la fin du texte reprend la formule
habituelle des contes créoles: «J’étais
caché sous la table, j’ai écouté ce que
les gens disaient, l’un d’eux m’a aperçu
et m’a flanqué un grand coup de pied qui m’a
projeté jusqu’à vous et me permets donc de vous
raconter cette histoire.»
Ce clin d’œil de Parépou à l’oraliture
créole peut être compris comme une manière
de montrer que l’écriture en créole est en continuité,
et non pas en rupture, avec l’oraliture et surtout que la
voix du roman créole n’est pas dans la simple
reproduction des structures romanesques européennes
mais dans l’exploration d’une forme originale, fut-elle
de prime abord déroutante comme l’est Atipa.
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FICHES CAPES
DE CREOLE (Linguistique)
QU’APPELLE-T-ON LES VERBES SERIELS ?
La sérialisation consiste à juxtaposer,
au sein de ce qui semble être un prédicat complexe,
deux ou plusieurs verbes ayant un même sujet. Certains linguistes
y voient l’un des rares cas probants d’interférence
africaine dans les langues créoles mais si la sérialisation
est bien attestée en Afrique, sur une zone qui va du Libéria
au Cameroun, elle l’est tout autant hors d’Afrique (en
Papouasie, en Chine etc…). Il semble donc qu’il s’agisse
d’un phénomène universel.
En 1978, Jansen, Koopman et Muysken ont donné une définition
de la sérialisation comportant 2 critères
principaux:
- un seul sujet pour plus d’un verbe.
- pas de morphème reliant explicitement ces verbes.
(Ex : Boug-la kouri-monté-désann lè i wè
bef-la)
et 3 critères complémentaires:
- si l’un des verbes fait fonction par rapport à
un autre de modal ou d’auxiliaire, il ne s’agit pas
d’une construction sérielle (Ex. Il avait
mangé comporte bien deux verbes mais comme avait
est un auxiliaire, il n’y a pas là sérialisation.)
- si l’un des verbes est un infinitif complément
d’un autre verbe (ex. Il avait voulu manger
comporte bien trois verbes qui se suivent mais avait
est un auxiliaire et manger est un infinitif
complément, il n’y a donc pas là sérialisation.)
- la construction sérielle comprend souvent un verbe «lexical
», appartenant à une classe étendue et un
ou plusieurs verbes « grammaticaux » choisis dans
une classe restreinte
Ces trois derniers critères ne sont pas d’application
aisée quand on les applique aux créoles à base
lexicale française. En effet, il est difficile dans
les créoles de distinguer entre marqueurs prédicatifs
(ka, té, té ka etc…), verbes
auxiliaires ou verbes semi-auxiliaires; de même il est malaisé
de distinguer « verbe modal », verbe « grammatical
» et verbe «lexical».
Ce qui caractérise la sérialisation c’est
le fait que la juxtaposition linéaire des lexèmes
verbaux perd son caractère énumératif, qui
autoriserait la pluralité des sujets, pour assumer une fonction
analytique: désigner les signifiés pris en
compte dans la construction du constituant verbal.
NOTE:
En créole, la sérialisation, si elle touche
principalement les verbes et donc le domaine lexical, se retrouve
aussi au niveau adjectival:
Ex. Liza sé an bel jenn ti fanm.
Au niveau adverbial:
Ex. I pati vitman-présé lakay-li/a
kaz a’y.
C’est sûrement à ces deux niveaux, adjectival
et adverbial, que la sérialisation en créole est une
forme grammaticale spécifique à cette langue, la sérialisation
verbale étant universelle.
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FICHES CAPES
DE CREOLE (Linguistique)
FAUT-IL PARLER « DU » CREOLE OU « DES »
CREOLES ?
Pour répondre à cette question, il faut savoir à
quel niveau on se place. En effet, si l’on s’en
tient au seul plan linguistique, il est clair qu’il
faut parler «des» créoles et non «du créole»
car chaque créole possède sa phonologie propre, sa
syntaxe et son lexique particuliers, même si ceux-ci sont
très proches de ceux des autres créoles. Mais on sait
bien aujourd’hui qu’une langue ne saurait se
définir au seul plan linguistique. En effet, toute
une série de facteurs extra-linguistiques interviennent -
facteurs historiques, politiques etc… - qui contribuent tout
autant que le facteur linguistique a définir la langue. Ainsi
davantage que les structures linguistiques, c’est
la volonté d’une communauté donnée de
se doter d’une langue propre qui est le facteur décisif.
Deux exemples très éclairants:
- lorsque la Tchécoslovaquie a éclaté en
deux pays, dans les années 80, à savoir la Tchéquie
et la Slovaquie, les Slovaques ont décidé qu’ils
parlaient une langue différente de leurs ex-alliés,
le slovaque, ceci bien qu’il y ait une intercompréhension
totale entre Slovaques et Tchèques, exactement comme entre
Martiniquais et Guadeloupéens.
- lorsque la Yougoslavie a éclaté dans les années
90, trois langues ont subitement apparu par décision politique:
le serbe, le croate et le bosniaque correspondant aux trois nouveaux
états. Jusque là, les populations de ces trois régions
parlaient une seule et même langue, le serbo-croate.
S’agissant donc du ou des créoles, il n’y
a aucune raison de s’en tenir au seul plan linguistique.
Il est tout à fait possible de parler «du» créole
au singulier dès l’instant où l’on fait
intervenir des critères historiques, épilinguistiques
ou idéologiques. En effet, il existe une parenté
génétique entre les créoles de chacune
des deux grandes zones créolophones. Les créoles américains
(haïtien, guadeloupéen, dominiquais, martiniquais, saint-lucien,
guyanais etc…) entretiennent des liens de parenté à
la fois linguistiques et historiques, tout comme les créoles
océanindiens entre eux (seychellois, mauricien, réunionnais).
Entre les deux grandes zones, il existe une parenté
typologique c’est-à-dire que créoles
américains et créoles océanindiens appartiennent
au même «type» de langues. En clair, ils présentent
des ressemblances frappantes bien que d’une zone à
l’autre, il n’y ait aucun lien génétique.
Il en va de même chez les langues que chez les humains: chez
ces derniers, on trouve des gens qui se ressemblent sans avoir la
moindre parenté, le cas le plus extrême étant
celui des sosies.
Fort donc de cette double parenté - génétique
à l’intérieur de chaque zone et typologique
entre les deux zones - il est tout à fait possible de parler
«du» créole au singulier. Les Arabes,
qui possèdent 22 dialectes différents, parlent bien
de «la» langue arabe au singulier par décision
politico-culturelle et religieuse.
REPETONS-LE: dans la définition d’une langue, le
critère linguistique s’il est premier est loin d’être
le plus déterminant.
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FICHES CAPES
DE CREOLE (Littérature)
POURQUOI NAPOLEON FIT-IL REDIGER DES PROCLAMATIONS EN CREOLE ?
Il faut noter tout d’abord que 40 proclamations
en créole ont été prises à
l’époque napoléonienne (tant celle où
Napoléon n’était que Premier Consul de la République
que celle où il se fit sacrer Empereur c’est-à-dire
de la fin du 18č siècle aux premières années
du 19č). Toutes ne sont pas signées de Napoléon
mais de ses émissaires dont le plus célèbre
fut Sonthonax à Saint-Domingue.
Avant de répondre à la question posée, il
convient de s’arrêter sur le terme proclamation
lui-même. En effet, même si ces textes ont pris la forme
matérielle d’affiches que l’on apposait un peu
partout, il faut garder à l’esprit qu’ils
étaient lus au son du tambour sur les places publiques.
En effet, ceux auxquels ces textes étaient adressés
- les Noirs récemment libérés de l’esclavage
- ne savaient pas lire et les très rares qui le savaient
(comme le futur Toussaint-Louverture) n’avaient jamais eu
l’occasion de lire du créole de toute leur vie. Ces
textes étaient donc faits pour être «proclamés»
au sens premier du terme.
Il faut se garder de voir là une pratique nouvelle, spécialement
inventée pour les «isles d’Amérique».
En effet, déjà dans l’Ancien Régime,
à l’époque de la Royauté, quand à
peine 1/3 des Français parlaient la langue française,
il était courant que les édits royaux fussent lus
au son du tambour dans les villages, cela en deux langues : d’abord
dans la langue du Roi, le français; ensuite dans l’idiome
local (provençal, gascon, basque ou breton). Il faut rappeler
que la Révolution Française (1789) n’a pas pu
modifier la situation linguistique de la France malgré les
efforts entrepris par l’abbé Grégoire
qui procéda à une vaste enquête à travers
tous le territoire sur «les patois et les moyens de les éradique».
Les effets de l’action de l’homme sur la langue ne se
mesurent pas, en effet, à l’échelle d’une
vie humaine. Si bien que lorsque Napoléon arriva au pouvoir,
à la fin de la Révolution, il ne put que continuer
cette pratique de «proclamation» des lois et quand il
dût affronter la révolte des Noirs à Saint-Domingue,
en Guadeloupe et en Guyane, il la transposa simplement aux
Amériques.
Pourquoi le pouvoir napoléonien usa-t-il du créole
et non pas du français alors qu’à cette époque
le créole n’était pas considéré
comme une langue mais comme un vulgaire patois, pire que le provençal
ou le breton, car en plus patois de Nègres? C’est
parce que tous les moyens de persuasion avaient été
utilisés pour inciter les Nègres, libérés
de l’esclavage en 1793, à regagner les habitations
de canne à sucre. Les Békés martiniquais,
ayant placé la Martinique sous contrôle anglais dès
le début de la Révolution de 1789, parvinrent à
y maintenir le système esclavagiste. Dans les trois autres
colonies - Saint-Domingue, Guadeloupe et Guyane - les Békés
subirent une véritable déroute, assimilés qu’ils
furent à la noblesse française et subissant tout comme
elle les rigueurs de la guillotine. La conséquence
de cette abolition de l’esclavage fut la ruine économique
de ces trois colonies. En effet, il n’y avait plus
personne pour couper la canne et les habitations étaient
laissées à l’abandon.
Lorsque Napoléon arriva au pouvoir il fit tout son possible
pour refaire de ces colonies des territoires qui contribuent à
l’enrichissement de la France comme c’était le
cas avant 1789. Pour cela, il fallait absolument convaincre
les Nègres de retourner travailler sur les habitations.
L’usage du créole visait à leur montrer que
Napoléon était animé de bonnes intentions puisqu’il
utilisait leur idiome et qu’il n’avait donc aucune intention
de rétablir l’esclavage comme le prétendaient
des rumeurs persistantes. C’est pourquoi la plupart de ces
proclamations emploient un ton doucereux, conciliant, exhortent
les Noirs à se comporter «en vrais citoyens français»
tout en se terminant par des menaces voilées de répression
en cas de refus d’obtempérer. Cet usage du
créole avait donc une visée essentiellement pragmatique.
Le résultat fut totalement négatif: les Noirs augmentèrent
leur révolte à Saint-Domingue et libérèrent
définitivement le pays du joug français. En Guadeloupe,
ils se révoltèrent jusqu’à la mort (Ignace,
Delgrès etc.) et en Guyane, ils s’enfuirent dans la
forêt ou furent rapidement matés à cause de
leur trop petit nombre.
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FICHES CAPES
DE CREOLE (Littérature)
DE QUAND DATE LE THEATRE EN CREOLE DANS LES PETITES-ANTILLES?
Si le théâtre est une pratique relativement ancienne
en Martinique et en Guadeloupe, on peut constater que, contrairement
à Saint-Domingue, on n’y pratiquait que le répertoire
français jusqu’à une date très récente.
En effet, avant l’indépendance de la grande île
du Nord (le 1 janvier 1804), les théâtres fleurissaient
à Port-au-Prince, au Cap Français ou à Jacmel.
On y jouait aussi bien Corneille, Molière ou des opérettes
à l’italienne que des pièces en créole,
tantôt originales tantôt traductions de pièces
françaises (comme «Le devin du village»
de Jean-Jacques Rousseau). Dans les Petites Antilles, rien de tel.
Dans le magnifique théâtre de Saint-Pierre,
réplique exacte du théâtre de Bordeaux, on ne
jouait, jusqu’en 1902, que du théâtre français.
A côté de ce théâtre officiel existaient
deux autres formes de théâtre, toujours français
et en français: des pièces écrites par de rares
dramaturges antillais et des pièces crées par les
élèves des différents séminaires et
lycées qu’ils jouaient en fin d’année.
Au niveau populaire existait parallèlement une forme embryonnaire
de théâtre, la saynète, souvent
en créole ou utilisant le créole et le français.
Ces saynètes étaient jouées dans les fêtes
patronales et ne possédaient pas de texte écrit ni
d’auteur identifié. La plus célèbre,
qui finit par devenir un énorme succès en Martinique
tout au long des années 60 et accéda à la scène
théâtrale fut Cancan Case Marsabé qui dura près
d’une dizaine d’années et fut jouée une
bonne cinquantaine de fois. Rejouée tout récemment,
cette pièce n’est toujours pas disponible sous forme
imprimée. On peut toutefois citer avant cela quelques opérettes
en créole jouées au théâtre de Basse-Terre
à la fin du 19č siècle et dues à
Paul Baudot ainsi que certaines petites pièces comiques,
mêlant créole et français, dans les années
50 du siècle suivant, dues au Guadeloupéen Gilbert
de Chambertrand, membre-fondateur de l’A.C.R.A (Académie
Créole Antillaise).
Il a fallu donc attendre 1962 avec la parution
d’Agénor Cacoul du Martiniquais Georges Mauvois pour
que le créole soit utilisé au théâtre
dans un registre non comique. Dans cette pièce, où
créole et français cohabitent selon les règles
de la diglossie, le créole acquiert une dignité inconnue
jusque là dans la bouche des coupeurs de canne qu’elle
met en scène. Pour la première fois, le créole
acquiert aussi dimension politique dans la mesure
où Agénor Cacoul est une véritable
mise en scène de la diglossie. En effet, il s’agit
d’une satire féroce d’un maire véreux,
Cacoul, à la solde des planteurs békés, qui
refuse de soutenir les travailleurs agricoles à l’occasion
d’une de ces grandes grèves qui éclataient au
tout début de la récolte (janvier-février).
Dans la pièce, le français est l’apanage du
pouvoir: celui du gouverneur métropolitain, du grand planteur
béké et du maire Cacoul lorsque ce dernier est en
position d’exercer son pouvoir; le créole, par contre,
est la langue des coupeurs de canne et le symbole de leur révolte
contre un système oppresseur. Mais, plus intéressant,
est le jeu des langues chez les personnages qui
utilisent les deux langues: dans une scène très frappante,
Cacoul et sa secrétaire qui est aussi sa maîtresse,
une ancienne employée de cantine qu’il a fait monter
en grade, le couple alterne, parfois dans la même réplique,
créole et français selon un jeu subtil qui veut que
chaque fois que Cacoul veut attendrir la jeune femme, il se sert
du créole tandis que quand il la réprimande ou veut
réaffirmer son statut de maire et donc sa supériorité
hiérarchique par rapport à elle, il a recours au français.
De même, la jeune femme sait, elle aussi, jouer sur toutes
les gammes de la diglossie pour faire prévaloir son point
de vue.
A partir du milieu des années 70, le théâtre
en créole, très souvent politisée et à
coloration nationaliste ou indépendantiste, va exploser d’abord
en Guadeloupe avec le «Théâtre du cyclone»
dont la pièce Nuit blanch est restée célèbre,
puis en Martinique avec le «Téyat lari» de Roland
Brival lequel tente une sorte d’hybridation entre le conte
créole, l’oraliture en général et des
formes de théâtre européen ou américain
moderne.
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